Je n’étais pas en vacances, alors  cette fête aurait dû m’irriter au plus haut point. Pourtant, j’étais plus qu’enjoué à l’idée de me retrouver sur le toit de l’immeuble afin de boire, rire et faire le fou jusqu’à ce que mort s’en suive. J’avais eu des vacances bien méritées au début du mois de juin, ce moment où les billets d’avion sont encore abordables. Maintenant j’assumais le fait que je n’avais pas eu la chance d’être au repos en même temps que la plupart de mes amis. Tant pis, c’était mon choix, je ne pouvais pas pleurer sur mon sort. Il était presque 21h quand je sortais du magasin de liqueur avec une caisse de bière, une bouteille de rhum brun épicé et une bouteille de vin blanc doux et fruité. Pippa n’était pas là pour m’aider à faire mon choix, alors j’avais opté pour la bouteille que j’étais certain d’aimer. Je montai finalement tout en haut de l’immeuble et sortis sur le toit, les bras chargés d’alcool. Être aussi costaud que moi signifiait aussi que je devais en ingurgiter plus que les autres pour être autant dans les vappes. Il n’y avait pas encore énormément de gens présents, mais bien assez pour que je puisse tout de suite commencer à socialiser et même peut-être débuter une partie de beer-pong, mon sport favori. « Quelqu’un est-il prêt à se mesurer au maître du beer-pong ? »  Lançais-je à l’adresse de tous en levant dans les airs ma caisse de bière – et après avoir déposé les deux bouteilles sur une petite table recouverte d’une nappe. Tout le monde esquissa un sourire, probablement exaspérés de ma personnalité festive. Fidèle à moi-même, il n’était jamais trop tôt pour commencer à boire avec abus.

Comme à son habitude, Ariel était ... en retard. Et comme pour ne rien arranger, il arrivait les mains vides et il n'en semblait pas pour le moins gêné. Sa journée n'avait pas été difficile, contrairement à tout le reste du mois d'août où il n'avait pas chaumé : le numéro de septembre était quasiment prêt à être envoyé à l'imprimerie et la grande patronne semblait sereine. Tout allait bien dans le meilleur des mondes. Ariel se servit sur son passage un verre de jus d'orange et un amuse-bouche., il avait faim et n'allait pas attendre comme un enfant qu'on l'autorise à se servir - ou plutôt comme un enfant, il se servait en douce avant que son gâteau préféré ne soit pillé par les plus grands. Du haut de son mètre quatre-vingt-trois, il chercha du regard une connaissance, sa colocataire ou toute personne pouvant le faire paraitre moins seul, il détestait paraitre sans amis. Malheureusement, personnes en vue, Sierra devait être de service ou alors bien plus en retard que lui, ce qui n'était pas le plus habituel. En attendant, il remplit une assiette de victuaille, remplit à nouveau son verre et alla s'assoir sur le muret du toit pour observer l'assemblée.

Alors que je me prenais un solide vent en pleine figure face à tout ce monde qui avait trop peur de se mesurer à moi au beer-pong, j'aperçus ma meilleure amie qui entra sur le toit, toute échevelée par le vent qui soufflait - le vrai vent, cette fois. Elle était belle. Elle me lança un petit coucou de la main, auquel je répondis avec un sourire niais scotché au visage. Elle ne vint toutefois pas à ma rencontre, ce qui m'attrista un peu. Toutefois je savais que nous avions chacun un large réseau social et que nous n'étions pas tout l'un pour l'autre. Derrière elle ne tarda pas à rentrer le seul et unique Declan, que j'avais rencontré à l'hôpital alors que je faisais des stages en physiothérapie. Il alla tout de suite rejoindre de jolies demoiselles, cercle dans lequel je ne reconnus que Alexz. « DECLAN ! Arrête de draguer et viens jouer au beer-pong avec moi ! Solidarité masculine oblige ! » Après tout, les filles étaient entre elles et moi j'étais complètement seul au monde. En tournant la tête vers la table de beer-pong, j'aperçus Ariel dans son coin. Je ne le connaissais que de réputation pour ses créations de mode, et peut-être ne connaissait-il pas mon nom, mais tant pis. « ARIEL !  » Il leva la tête vers moi. « Tu vas être l'arbitre, allez, viens ! » Je n'étais pas du tout gêné, même avec les gens que je connaissais pas du tout. J'étais quelqu'un d'assez rassembleur. Finalement, ma dernière interpellation alla à Pippa. « Hé, Pipi, aurai-je droit à ma cheerleader privée ? » Lui demandais-je en imitant une meneuse de claques d'une façon assez ... horrible pour les yeux.  

C'était malgré lui qu'Ariel se retrouva arbitre d'une partie de beer-pong. Il avait déjà entendu parler de ce jeu et bien sure avait pu voir ce genre de chose dans les fameux teen-movies américains. Mais son côté européen se montra à nouveau pour l'occasion : il n'y avait jamais joué et, pour dire la vérité, il n'en connaissait que vaguement les règles. - OK. Je veux bien faire l'arbitre, dit-il d'un ton enjoué à celui qui était venu le déranger dans sa méditation, Mais on va avoir un petit problème : un arbitre doit connaitre les règles du jeu et ... je ne connais pas les règles du jeu. Il s'était levé et se dirigeait vers la table de ping-pong autours de laquelle les gens commençaient à s’amasser : il suivait le mouvement. Se frayant un chemin pour atteindre la table, il voulait prendre au sérieux le rôle que l'on venait de lui attribuer. - Excusez-moi, l'arbitre aimerait accéder au terrain. Il avait parfois jouer le jeu de l'arbitrage adolescent lors de match de foot entre amis et à vrai dire, il aimait bien jouer le chef de cette façon. Il  bouscula au passage une demoiselle blonde. Il rattrapa, au dernier moment, la bière qu'elle tenait à la main et qu'il faillit renverser de sa maladresse légendaire. - Désolé. Je suis sincèrement désolé, se précipita-t-il de lui dire avec un sourire mi-enjoué mi-embêté. Il se savait parfois être terriblement malhabile.

Alors que Declan se trouvait maintenant devant moi, à l’autre côté de la table, sa colocataire Rose lui lança une réplique qui me fit hausser les sourcils. Je me tournai alors vers elle et déclarai, d’un ton moqueur : « Sa réputation de perdant, ouais !! » Je rigolai. Ce n’était pas méchant. On taquine ceux qu’on aime. Declan était un de mes très bons amis, il savait que je déconnais. Et puis, jusqu’à maintenant, il était l’un de mes meilleurs adversaires au beer-pong. Concernant son amie Rose, cette dernière avait probablement dû entendre parler de moi de par notre ami commun, justement. En tout cas, moi je la connaissais grâce à lui. Je l’avais d’ailleurs souvent croisée chez lui. Finalement, Ariel arriva tout près de nous afin de jouer les arbitres. Au passage, il faillit renverser le verre de Rose. « Wow, du calme, monsieur l’arbitre ! Êtes-vous déjà saoul ? Bah … tant que ça joue en ma faveur, hein ! » Dis-je en lui faisant un clin d’œil. Évidemment, je savais qu’Ariel était gaffeur plutôt que ivre, mais cela me faisait bien rire de me moquer un peu. J’espérais qu’il ne le prenne pas trop mal ; lui ne me connaissait pas du tout.