Qui avait eu cette stupide idée de faire des photos à Times Square ? En cette heure matinale, peu habitué à être debout depuis six heure du matin, Ariel se sentait encore endormi au milieu des stagiaires paniquées de Vogue. Pour lui, c'était simple : vérifier que chaque élément de la liste qu'il avait dressée depuis des semaines se trouvait bien dans les malles qui partiraient en taxi pour le lieu du shooting. Le stress ne venait pas pour lui des tenues ou de l'éventualité que celles-ci n'arrivent pas à l'heure, il avait l'habitude de ce genre de chose et tout se terminait toujours bien. C'était plutôt la foule new-yorkaise et les nuages qui avaient fait leur apparition dans le ciel bleu d'été. Il était tout à fait impossible qu'il pleuve aujourd'hui, ce serait inacceptable. Une robe Chanel ou Dior trempée n'était tout simplement pas envisageable. Il buvait donc son thé en admirant l'agitation et réfléchissant à un éventuel plan B, répondant ça et là aux idiotes questions des stagiaires.
Si d'un seul coup il leva ses fesses de son bureau, ce n'eut comme effet que de provoquer un brusque arrêt du troupeau avant qu'il ne se remette de plus belle à courir. Ariel n'était pas méchant, loin de là, c'était même un garçon tout à fait adorable qui ne faisait pas la différence entre le shampoing et le produit vaisselle (ce qui lave les cheveux gras du voisin doit pouvoir laver une assiette sale, selon ses dires), mais dans son travail, il avait la réputation d'être maniaque de l'ordre et du sérieux. Jamais une blague ne fusait dans son bureau, et principalement devant les stagiaires desquels il voulaient se faire respecter. C'était un genre de carapace en réaction à ses années passées où sa réussite avait parfois fait grincer certaines dents et pousser certaines autres à le mordre dans son dos. Depuis, il était ce personnage trop sérieux, trop sec, au sourire effacé et au regard froid, l'exact opposé de ce que pouvait vivre ses colocataires.

Times Square était comme à son habitude en vie et même trop en vie. Tout était finalement arrivé à l'heure et sans encombre et les stagiaires soufflaient enfin. Ariel avait abandonné l'idée de mettre ses lunettes de soleil et regardait le ciel avec insistance. La météo devrait leur laisser du répit jusqu'en début d'après-midi. Le service de sécurité organisait déjà les lieux pour une plus grande facilité de travail. Le thème, qui tenait à cœur au styliste, était l'art urbain du spectacle, des tenues entre le rat d'opéra et le danseur de breakdance. C'était sur ce lieu mythique que c'était porté le choix du directeur artistique. Un shooting de jour car les autorisations nécessaires à une séance nocturne n'avaient pu être acquises. Photoshop ferait son travail comme d'habitude. Ariel s'élança vers le DA qui venait de faire son entrée sur le "plateau", il venait prendre la température avant d'accueillir les mannequins et le reste de l'équipe, savoir si tout était bien organisé. Le jeune homme en profita pour poser une question qu'il avait en tête depuis qu'il avait terminé son second thé de la matinée. - Excuse-moi, est-ce que tu pourrais me dire qui est le photographe aujourd'hui ? J'ai appris que Mario était finalement retenu à Tokyo et qu'il ne pouvait pas être là avant six jours. - On a pris finalement une vision plus féminine pour le sujet, quelque chose de plus aérien. J'ai appelé Sacha hier et elle est disponible. Une chance pour nous ... Tout est subjectif. Le coeur d'Ariel venait de faire des montagnes russes à la simple évocation de ce prénom. Ce n'était pas qu'il portait à la jeune femme à qui appartenait ce prénom une haine viscérale, mais il avait été déjà prouvé par deux fois que les deux personnes n'étaient pas vraiment faites pour travailler ensemble. Ariel n'eut pourtant pas d'autre choix que de garder pour lui toute remarque et de retourner à son travail. La journée ne faisait que commencer.