La porte du musée grinça légèrement lorsqu'il la poussa et entra à l'intérieur, balayant l'immensité du hall d'un regard critique. L'Hopper Art Gallery avait une sacrée réputation dans cette ville, d'après ce qu'il avait cru comprendre, mais il n'y avait vraiment pas de quoi en faire un plat. En fait, c'était carrément démodé et ça manquait clairement de goût. Ezio grimaça en regardant la longueur de la file d'attente, puis se reprit enfin et se dirigea d'un pas déterminé vers l'accueil.

Depuis que Norah et lui avaient couché ensemble, cette dernière l'ignorait et ne s'était plus pointée à l'appart depuis un bon bout de temps. « Quand on est vivant, on réponds au téléphone ! » avait-il tenté d'expliquer à Hugo, lorsqu'il avait remarqué la raison de son mal-être. Son meilleur ami avait passé des heures à lui expliquer la logique des femmes (c'était un sujet qu'il ne maîtrisait pas à la perfection, mais il s'en sortait plutôt bien). Pour lui, c'était aussi naturel qu'un cactus dans le désert, Norah avait joué l'indifférente pour qu'il arrête de culpabiliser d'avoir couché avec elle alors qu'elle était ivre.

Dans tous les cas, Ezio se devait de mettre tous les points sur les i avec Norah. Alors qu'il n'était plus qu'à un mètre de ce qui semblait être l'administration, une fille s'interposa sur son chemin, un grand et très enjoué sourire aux lèvres. Grande, pulpeuse et maquillée à outrance, elle confirma pour de bon les doutes d'Ezio. Ce musée était remplie de bombasses. « Je peux vous aider ? » roucoula-t-elle et Ezio s'empressa de lui adresser un de ces plus beaux sourires. « Je suis ici pour voir Norah. Norah Morisson. » La blonde élancée fit une petite moue compatissante et pour une fois depuis très (mais alors très) longtemps, Ezio se sentit complètement ridicule et humilié. Le prenait-elle pour un connard sans cervelle qui courait après la blondasse du musée soi-disant branché ?

« Avez-vous pris un rendez-vous ? » « Bah, en faite non... » Bête et confus, Ezio trouva tout de même la force de trouver une autre idée et s'interrompit. Il fallait changer de tactique. Ni une ni deux, Ezio fit son plus beau sourire charmeur et détailla ses formes généreuses d'un long regard. « Écoutez, soyez mignonne et dites-moi ou est-elle. » La blonde le fixa avec des yeux écarquillés avant de rougir. « A l'étage n°2. Elle guide un groupe d'enfants... Par pitié, soyez discret. »

(...)

Ezio ne comprenait pas ce que Norah avait avec ce musée. Il comprenait encore moins l'utilité de guider un groupe de mioches sachant qu'ils allaient tous revenir chez eux en n'ayant compris un mot sur deux. Pourquoi s'éternisait-elle à expliquer pourquoi tel peintre avait décidé de dessiner et dans quelle circonstance... C'était d'un ennuis. Abandonné en plein milieux d'un groupe d'enfants, Ezio se forçait à suivre ce que Norah tentait vainement de réciter à ses visiteurs. Faisant mine de s'intéresser, il lui coupa la parole. « J'ai une petite question. J'espère que ça ne te dérange pas... » Il était en train de se payer sa tête. Bien évidemment, au fond, Ezio savait qu'il n'avait pas une réaction très adéquate. « Pourquoi les enfants détestent la fessée mais les adultes aiment ça ? Est-ce que c'est un changement qui arrive d'un coup ou un changement progressif ? Et est-ce qu'il y a un âge intermédiaire où on trouve ça complètement neutre ? » Tenté de rigoler, Ezio résista tant bien que mal à la tentation de se donner une grosse claque. Pourquoi ? Pourquoi continuait-il de parler ? « Traduction. Pourquoi ne réponds-tu pas à mes messages ? Je suis vraiment aussi nul au lit que ça ? » Lâcha-t-il la bouche pleine. Sa question lui demanda un petit temps de réflexion; pas parce qu'il était en train de se demander si c'était possible, mais plutôt parce qu'il s'inquiétait de ce qu'elle pense de lui. Et le regard de Norah, ainsi que ses rouges écarlates lui disaient rien de bon...  

Norah ouvrit péniblement les yeux, agacée d'avoir été fauchée en plein rêve par la dure réalité. Ou plutôt par une foutue gueule de bois qui lui donnait un mal de crâne insupportable, signe qu'elle avait encore passée une soirée bien trop alcoolisée. A chaque fois qu'elle rentrait trop ivre chez elle, la jeune femme se jurait de ne plus toucher à un seul verre avant de s'endormir. Promesse qu'elle oubliait durant la nuit, à croire que le trop plein de tequila avait raison de sa mémoire. Mais si en règle générale la jolie blonde buvait pour célébrer la vie, ce n'était plus vraiment d'actualité. En effet, depuis quelques jours, Norah se saoulait davantage dans le but d'oublier sa nuit passée avec Ezio puisque malgré les apparences, il n'avait pas tant que cela abusé de son ivresse, la jeune femme étant capable de se remémorer chaque instant de cette fameuse nuit. Et pire encore, elle se surprenait parfois à en apprécier le souvenir (même si elle ne l'avouerait jamais). Malgré cela, elle s'obstinait à ignorer le jeune interne, que ce soit en effaçant ses messages sans y répondre ou en évitant carrément l'appartement des garçons, chose qui était un véritable sacrilège pour cette spécialiste du squattage. Pour se justifier auprès de Hugo qui commençait à s’inquiéter -étant donné qu'elle était toujours fourrée chez eux-, Norah prétexta une grippe mal tombée, l'excuse bidon par excellence. C'était injuste et elle en avait parfaitement conscience mais, elle aimait que tout soit simple et sous contrôle et cette situation semblait être synonyme de tout ce qu'elle redoutait. En somme, de la complication à vue de nez. Pourtant, une adulte serait allée au devant du problème, en discuter dans l'espoir de trouver une solution mais, pas Norah. Non, elle préférait largement sa méthode : fuir. Mais, dans le fond, elle savait qu'elle ne serait pas à l'abri pour toujours et qu'à un moment ou à un autre, elle devrait réapparaître à la surface. Après tout, une grippe ce n'est pas la mort non plus.

En revanche, ce qui risquait de la tuer serait sans aucun doute son patron. « Oh merde ! » S'écria-t-elle après avoir jeté un coup d’œil affligé à son réveil qui n'avait visiblement pas sonné (ou bien, l'alcool non content d'atténuer sa mémoire, agissait également sur son ouïe). Sans plus tarder, elle se leva en trombe et s'empressa de filer sous la douche afin de se réveiller un tant soit peu. En un temps record, elle réussit à dompter sa chevelure rebelle ainsi que ses cernes de fêtarde invétérée avant de sortir de chez elle pour s’engouffrer dans la bouche de métro qui la mena jusqu'à son lieu de travail. Bien qu'elle tenta de rentrer discrètement, un affreux « Morrison ! » l'obligea à faire demi-tour. « Je suis désolée d'arriver si tard, c'est que vous voyez, ma grand-mère est morte  ce matin et.. » Perplexe, son employeur la coupa en pleine phrase. « Je vois. Celle qui s'est noyée il y a une semaine ou bien celle qui est décédée d'une pneumonie il y a un mois ? » Norah fronça les sourcils, embarrassée par tous ses mensonges qui finissaient par la trahir. «Euh..J'ai dit ma grand-mère mais, en réalité, je voulais parler de ma tante. » Dit-elle avec un sourire faussement assuré. A la fois agacé et amusé par le comportement de Norah, son patron lui fit signe de partir travailler, chose qu'elle fit sans plus tarder, récupérant un groupe de gamins des griffes de sa vieille collègue. Au bout d'une demi-heure, une question vint l'interrompre dans sa visite. Cette voix, cet humour... Elle l'aurait reconnu entre mille. D'ailleurs, elle ne prit même pas la peine de se retourner histoire d'en avoir le cœur net, bien qu'elle le fit par la suite afin de faire face à Ezio et au reste du groupe qui ne semblait pas si perturbé que cela par cette intervention. « En grandissant, l'homme perd de son intelligence, c'est bien connu. Il se met donc à apprécier des choses qu'il ne devrait pas. Ou à faire des choses qu'il ne devrait pas... » Parlait-elle encore de fessée ? Pas sûr. Lorsqu'il en vint à lui parler de messages ainsi que de ses performances au lit, Norah préféra l'attraper par le bras pour l’entraîner dans un coin plus discret, laissant les enfants en compagnie du gardien qui traînait dans les parages. « Ezio qu'est-ce que tu fous ici ? Si mon patron me voit avec toi, je peux dire adieu à mon boulot. » Murmura-t-elle en prenant soin d'éviter de répondre aux dernières questions du jeune homme.